Baudelaire épigrammatiste À propos des Amœnitates Belgicæ

La haine est une composante essentielle de la négativité propre à la modernité poétique. Sartre en situait l’« épiphanie » historique dans les suites de la Révolution de 1848 et du 2-Décembre. Lautréamont en fera une charge explosive, les décadents la distilleront en mille jeux cruellement pervers. Mais c’est Baudelaire, d’abord, qui la met en honneur. La haine suinte de sa poésie – comme elle ruisselle de l’éponyme « tonneau » de « Spleen et idéal » – et imprègne l’ensemble de son discours. C’est aussi elle qui, dans l’espace génériquement équivoque des « journaux intimes », en fait un individu littéraire porté à la vitupération, à l’invective, au coup de gueule. Et l’anarchisme de droite qu’on a l’habitude d’associer à son identité politique, ou « dépolitiquée » par le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, ne trahit-il pas, au fond, une forte propension à l’attaque rageuse, un « goût de la destruction » faisant souvent son miel, et son fiel, de ce qu’il trouve ?
Même s’il restera inabouti, le projet du livre sur la Belgique auquel Baudelaire travaille lors de son exil volontaire à Bruxelles, entre avril 1864 et mai 1866, constitue l’expression la plus spectaculaire de sa veine haineuse. Tout à l’« essayage de [s]es griffes », le poète s’acharne, dans cette Belgique déshabillée à laquelle il réservera plusieurs titres, sur ce qu’il estime être la bêtise mimétique des Belges. On comprend facilement que les « singes » qu’il se complaît à railler ne sont pas à ses yeux que des imitateurs, mais des miroirs, et des miroirs qui reflètent non seulement sa conception des Français et de l’homme, mais surtout sa propre image…

Publication Type

Journal Name

Poétique

Volume Number

n° 188