« Pas de chiens, pas de noirs, pas d’irlandais »

Quinn Teague-Colfer

 

« pas de chiens, pas de noirs, pas d'irlandais »

mais, où maintenant pour le père orphelin ?

la maladie, la mort, et maintenant le déplacement

quitter « l'Ulster libre » et traverser la mer d'Irlande

en quête d'espoir, convoqué par la terre de l’industrie

appelé par la deuxième ville, se remettant des blessures du blitz

 

cinq heures tous les matins, au coin de la rue

des dizaines ensemble, attendant un rêve du travail

livrer du charbon, construire des ponts

irlandais, jamaïcains, sud-asiatiques ensemble

tous les sujets de l'empire

reconstruire la nation qui a détruit les leurs

 

« pas de chiens, pas de noirs, pas d'irlandais »

dit le panneau à la pension

pas d'humanité pour le sous-humain

alors que le soleil de l'empire se couche enfin

les fils d'Eton pleurent et citent Virgil

car le Tibre se remplit de sang

 

pourtant, le père et sa femme persistent

leurs filles maintenant à l'école primaire ont besoin de s'assimiler

cours d'élocution pour « bien » parler

des accents « culchie » bientôt désappris

car même la langue de Joyce, Wilde et Yeats

ne peut se comparer à celle de Shakespeare, Dickens et Keats

 

« pas de chiens, pas de noirs, pas d'irlandais »

car le conflit de leurs pères revient

dix innocents tués à Ballymurphy, quatorze le « Bloody Sunday »

la guerre sectaire commence, la « lutte de libération » a repris

pubs bombardés, Mountbatten mort, et Ulster en feu

l'île d'émeraude ou de semtex, de l'IRA et des cagoules ?

 

hostilité palpable, les regards s'intensifient

rendez-vous de jeu écourtés, car l’anglais « ne peut pas manger à côté de l'un d'eux »

autorisation requise du commandant pour visiter fermanagh

les accents anglais des filles attirent la colère

« rentrez à la maison, anglais! » crie une petite fille au parc

 

mais, où est la maison si elle n'est ni ici ni là-bas?

 

pour les irlandais la maison est ce qui se crée

la maison n'a pas de frontières

la maison est dans le désordre

la maison est dans la « craic », les fêtes, les chants, les danses

la maison est dans les tantes cancanières, les prêtres condescendants et les mamans poules

 

la maison est dans la connaissance

qu'un jour les choses s'amélioreront

 

J'ai écrit ce poème sur la jeunesse de mes grands-parents en Angleterre. Mon grand-père maternel a grandi en Irlande du Nord et est devenu orphelin à l'adolescence. Sa femme, ma grand-mère, a grandi dans les montagnes à l'extérieur de Dublin. Dans le cadre de la vague d'immigration d'après-guerre en Angleterre, ils sont arrivés à Birmingham en 1958. Leurs premières années à Birmingham ont été incroyablement difficiles, car la xénophobie a exacerbé leur pauvreté. Les mots « pas de chiens, pas de noirs, pas d'Irlandais » ont souvent été affichés sur les annonces de location d'appartements et de maisons.

Dans mon poème, j'ai cherché à réfléchir sur le contexte post-colonial de leurs expériences. Mes grands-parents sont devenus majeurs au milieu des troubles politiques en Irlande du Nord, alors que les factions républicaines irlandaises et unionistes britanniques se disputaient les six comtés sous contrôle le Royaume-Uni. J'ai cherché à dépeindre la complexité de leur relation avec le conflit, comme des nationalistes irlandais essayant de s'assimiler à la société de la métropole coloniale. À travers un cadre post-colonial, je suis capable de mieux comprendre ces contradictions. Comme beaucoup d'autres enfants d'immigrés, mon sentiment d'identité est confus ; je ne me sens ni tout à fait canadien, ni irlandais, ni britannique. L'écriture de ce poème m'a poussé à y réfléchir et à faire face à ces contradictions.

Un thème important dans le poème est la langue. En Angleterre, l'accent raconte une histoire, révélant une classe, un niveau d'éducation et un lieu de naissance. Mes grands-parents ne l'admettraient jamais, mais leur accent irlandais était certainement une source de honte. Leur colonialisme intériorisé se manifestait dans leur attitude envers la langue. Dans le poème, j'utilise des termes irlandais comme « craic » et « culchie » pour subvertir la répression des dialectes irlandais dans le discours académique et poétique. Je fais une comparaison entre les grands auteurs irlandais et anglais pour illustrer l'absurdité des stéréotypes selon lesquels les Irlandais sont inintelligents.

De plus, j'ai fait référence aux expériences qui se chevauchent des Irlandais et d'autres immigrants en Angleterre. Je fais allusion au célèbre discours anti-immigration d'Enoch Powell, avec ses racines dans la nostalgie coloniale, le racisme et la xénophobie. Les immigrants d'autres colonies britanniques ont vécu des expériences similaires, mais la leur a été exacerbée par un racisme anti-noir et anti-asiatique vicieux. J'essaie de dépeindre une lutte partagée vers l'égalité avec d'autres groupes d'immigrants.

À la fin du poème, je cherche à souligner la résilience et la joie de la culture irlandaise. Pour ce peuple diasporique, l'idée de « chez-soi » est détachée de la terre. Elle réside dans nos communautés et notre esprit.

 

À propos de l’auteur :

Quinn Teague-Colfer est étudiant de troisième année à l’Université de Toronto avec une majeure en relations internationales et des mineures en études françaises et allemandes. Il est un membre actif du Groupe de recherche G7 et la Société des relations internationales.