Avez-vous un briquet ?

Julia Edda Pape

 

« Masz zapalniczkę? » Un homme m’a demandé dès que je suis sortie de l’aéroport. J’étais toute seule. Ma famille s’est éloignée, marchant vers la rue pour attendre notre voiture.

« Nie mówię po polsku, » j’ai répondu. Je ne parle pas polonais. La seule phrase que j’ai apprise avant notre séjour en Pologne.  J’ai couru pour rejoindre ma famille, encore effrayée par des étrangers même si j’avais déjà douze ans.

En regardant autour de moi, j’avais du mal à comprendre comment c’était possible que de vraies personnes puissent habiter ici. Cela me faisait penser à DisneyWorld et les expositions d'Epcot. Pour moi, c’était un pays fictif, rempli de poupées, de façades en bois et de nourriture en plastique. C’était un pays que je connaissais que par les histoires — les belles histoires d’enfance racontées par Maman et les histoires de pauvreté, de souffrance et de guerre racontées par ma grand-mère. Pour ma part, je n’ai vu ni la ville déprimante que ma grand-mère a décrite ni le paradis éblouissant que Maman m’a présenté.

On attendait les cousins qui nous accueilleront chez eux pour la durée de nos vacances — deux hommes que je n’ai jamais rencontrés ; deux hommes avec mon visage, mais que je ne connaissais pas ; deux hommes parlant une langue différente, avec une vie différente, que je ne connaîtrais jamais. J’étais nerveuse. En attendant, on observait la ville. Maman regardait autour d’elle avec les yeux qui ne fixaient rien. La ville de sa jeunesse s’était épanouie pendant toutes les années qu’elle était partie. Les pigeons volaient autour des gratte-ciels, les embouteillages de voitures chères nous entouraient et d’innombrables magasins chics étaient apparus le long des routes. Malgré ces développements, Maman avait l’air triste. Ce n'était pas la Pologne qu’elle avait quittée il y a trente ans.

Le plus notable dans la liste de différences entre la Pologne d’aujourd’hui et celle des souvenirs de Maman était l’absence de sa famille. Quand Maman est rentrée à Varsovie la dernière fois, sa Babcia — mon arrière-grand-mère — était encore vivante.

« Elle a cuisiné les pierogis et les gołąbki avec les recettes familiales que ta grand-mère utilise aujourd’hui, » Maman m’a expliqué un jour quand j’étais encore plus jeune.

Elle me montrait des photos de sa jeunesse dans le salon de ma grand-mère. Nous étions assises sur le canapé, buvant du thé à la menthe. « Babcia m’a fait couper les cheveux dans un style ridicule ! » Elle rigolait en me montrant la photo de sa petite tête blonde coiffée comme si un bol à soupe était renversé là-dessus.

Maman a continué, « J’étais si populaire avec les enfants dans le quartier quand j’étais petite. Tout le monde voulait un des petits carrés de gomme à mâcher avec Donald Duck sur le paquet. Personne ne pouvait l’acheter. Mais moi, j’avais les dollars canadiens ! Je les ai achetés pour tous mes amis ! » Maintenant que j’ai grandi, je comprends que, pour Maman, les étés passés en Pologne étaient des refuges de sa vie d’immigrante au Canada — une vie sans langue, parfois isolante, et surtout sans argent.

« Est-ce que tu leur as donné les gommes avant ou après qu’ils ont attendues dans la queue pour leur ration de farine ? » Ma grand-mère intervient durement en entrant dans le salon avec sa tasse de thé.

« Comment ça ? » J’ai demandé, ne comprenant pas pourquoi les gens ne pouvaient pas faire les courses eux-mêmes. « Il n’y avait pas de NoFrills ? »

« C’était le communisme. »

Cinq ans après cette conversation, j’observais ma mère qui est retournée finalement à son pays natal, cette fois une adulte avec ses trois enfants. J’ai compris que ce n'était pas du tout la Pologne de ses souvenirs. Le pays s’est poussé vers un avenir plus paisible et, en même temps, s’est éloigné de l’enfance de Maman.

« C’était comment avant ? » J’ai demandé, en me tournant vers ma mère.

« Bah, c’était... » Elle hésitait. Elle regardait sa mère, une femme qui a survécu dans un pays en tourmente, qui a été abandonnée par son père, qui a grandi dans un appartement coincé avec rien à manger. Une femme qui a risqué tout pour partir pour le Canada avec son mari et sa fille, pour qu’ils puissent avoir une chance. Une femme qui comprenait l’état véritable de son pays et qui a décidé de partir pour donner un avenir plein de rêves à ses descendantes.

En regardant ma mère, je pouvais voir le regret la consommer. La honte de ses souvenirs romancés l’a accablée. Maman a avalé sa salive, « C’était tout gris. »

Ma grand-mère mettait sa main sur l’épaule de sa fille. Elle souriait tristement, « Mais c’était notre pays. »

 

À propos de l’autrice

Julia Edda Pape fait son baccalauréat à UofT avec une double majeure en littérature française et anglaise et une mineure en éducation et société. Elle aime tous les aspects du théâtre, écrire de la fiction et jouer avec ses chats et son chien. Elle espère partager l’importance et le pouvoir des arts avec ses futurs étudiants.