Nous et Nos Aïeux

Jaqueline Morin

-18 avril, 2021-

Cher journal,

 

J’écris aujourd’hui pour apaiser mes pensées. Cette entrée va certainement être plus pesante que les précédentes.

Je vais te raconter mon histoire et celle de mon grand-père. Ces discussions longues et pas mal philosophiques sont trop dures pour en parler avec ma famille, depuis le décès de grand-père. Alors, je ne vais pas tarder d’écrire.

Cette date, le 18 avril est significative pour ma famille entière. Le 18 avril 1917 est la date à laquelle grand-père est arrivé en Guyane anglaise de l’Inde. Il était un « serviteur indenturé sous contrat ». Les « indenturés » ont été promis une meilleure vie en Amérique du Sud. Ils ont été laissés à se fendre pour eux-mêmes après leur service comme serviteurs indenturés en Guyane pour la Grande-Bretagne. Grand-père a dû servir dans une plantation de canne à sucre.

Il a servi pendant 4 ans avant d’être libéré à l’âge de 17 ans.

Je l’ai connu jusqu’à mes 11 ans.

Quand grand-père vivait au sud de l’Inde, au Karwar, il était considéré comme un indien « noir ». Il avait la peau brun foncé et rugueuse. Dans son vieil âge, la texture était celle d’un papyrus froissé. Le travail dur et non récompensé dans les plantations à un âge si jeune l’a fait vieillir plus vite. Au moins, c’est ce que disait grand-mère.

Pour le peu d’années que grand-père a vécu au Canada, les gens ne savaient pas de quelle ethnicité il était, sa peau embrouillait les autres.

Grand-mère n’avait pas trop ce problème puisqu’elle avait un accent guyanais qui rassemblait beaucoup à ceux des Jamaïcains. Les gens ont simplement présumé qu’elle l’était véritablement au lieu de simplement lui demander.

Mais, les gens avaient choisi de fixer le regard sur grand-père pour trop longtemps, jusqu’à ce qu’il devienne craintif et part de l’endroit en question. Son accent n’était pas facilement identifiable. Il utilisait des mots en anglais, mélangé avec le créole guyanais et les mots dans sa langue natale de l’Inde qu’il refusait d’oublier.

Dans ma jeunesse, j’avais appris comment parler en anglais, en créole guyanais et en français.

Lorsque ma mère est venue au Canada, elle était intimidée incessamment à son école secondaire à cause de sa façon de parler. Les élèves pensaient que sa voix était rigolo. Les enseignantes lui disaient qu’elle devrait apprendre l’anglais standard si elle voulait être prise au sérieux dans le monde des affaires.

Quand mon père a déménagé de Trois-Rivières à Toronto, il est allé à une école française. Les autres mecs lui disaient qu’il ne devrait pas garder son accent si dur québécois.

Que c’est gênant et que les gens ne parlent pas comme « ça » en Ontario. Alors, peu à peu, il a perdu la fierté qu’il avait de son accent. Ça l’attriste encore aujourd’hui puisque c’était une partie de lui qu’il ne pense plus pouvoir réapprendre. Il me dit que ce ne serait pas pareil.

Ma mère m’avait dit que papa craignait que j’apprenne le français. Il ne voulait pas que je sois intimidée par les autres enfants à cause de ma parlure.

La peur de ma mère et de mon père envers leurs langues me pousse toujours à améliorer la manière dont je parle et écris. Mon dévouement à l’apprentissage des langues, de mon héritage, les surprend. Ils sont fiers (j’espère) de mes études en langues.

Je me reconnais dans ces langues.

Dans les quelques conversations que j’ai eues avec grand-père, il disait à chaque fois que son pays lui manque. Il lui manque la sensation du sable chaud et doré qui parvient toujours à lui réchauffer l’âme. Mais les deux pays – l’Inde et la Guyane- lui permettaient de faire des promenades sur le sable, alors, quel est le pays dont il parle?

Le va-et-vient des vagues de l’océan lui rappelait son propre va-et-vient de l’Inde à la Guyane anglaise. Ça lui rappelait son trajet nauséeux dans ce bateau entassé d’autres hommes, du débarquement sur une terre et une vie nouvelle.

Certains jours il voulait qu’on lui fasse des plats de cari de canard avec des rotis beurrés.

Ça lui rappelait des dîners qu’il mangeait dans l’herbe avec ses amis après l’école. Ce repas réussissait toujours à calmer ses nerfs énergétiques.

D’autres jours on lui faisait du Metemgee pour qu’il se retrouve en Guyane. Il disait qu’il se trouvait dans son imaginaire : assis dans un hamac sur la galerie de sa maison, entourée de cocotiers, de manguiers et de roses fragrantes qui se mêlent pour créer une scène paradisiaque.

L’esprit identitaire de mon grand-père se balançait entre les eaux qui séparent l’Inde et la Guyane. Toujours en se liant à un pays plus que l’autre.

Ses vœux de nourriture étaient simples, mais son identité ne l’était pas.

Est-ce que mes origines sont contraintes par les histoires de mes ancêtres ou est-ce que je continue de les dessiner avec mes propres expériences de vie?

Je ne parle pas le punjabi, ni l’hindou ou l’urdu. Je ne sais même pas quel dialecte indien mon grand-père savait parler. Alors comment puis-je dire que je suis en « partie » indienne?

Est-ce qu’on appartient à une culture seulement en la pratiquant?

Est-ce qu’on peut redécouvrir les pas de nos ancêtres? Pas juste pour les connaître, mais pour se connaître aussi?

Tout ceci pour te dire que le plus grand jeu de « qui suis-je » est celui qui est propre à nous-mêmes!

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Les serviteurs sous contrat, « indentured servants », sont des Indiens qui ont été expédiés par bateau à la Guyane pour travailler dans les plantations. Ils n’étaient pas payés pour l’entièreté de leur service. Ils étaient sous le pouvoir de la Grande-Bretagne et étaient forcés d’apprendre l’anglais. Lorsque la Guyane anglaise a gagné son indépendance, les créoles ont commencé à se développer de plus en plus.

Mes textes d’inspirations sont : Petit Pays et The Empire Writes Back. Petit Pays m’a inspiré à parler de l’identité, de la déterritorialisation et du racisme. The Empire Writes Back m’a inspirée à inclure certains aspects de la théorie postcoloniale et du « place et déplacement ».

 

À propos de l’autrice 

 

Je m’appelle Jacqueline Morin et je suis étudiante en 4e année. Je fais le programme de spécialiste en langue et littérature française. Je poursuis d’autres études à l’Université d’Ottawa dans le but de devenir enseignante !