Entrée 26

Livia Strasser

 

Si je t’écris aujourd’hui, c’est parce que j’en ai besoin. Ce monde moderne dans lequel nous vivons, je ne le connais plus. Je ne le reconnais plus. Autrefois, c’était « la honte qui [me retenait] d’entrer dans une église et de [m’y] confesser »*, aujourd’hui c’est cette vague de douleur mondiale qu’on appelle la pandémie.

 

Plus que jamais, dans cette isolation folle nous avons besoin de repères dans ce monde. Mais ce qui le rend encore pire c’est qu’on s’y perd.

 

Apollinaire nous dit qu’il est « las de ce monde ancien », mais si seulement il avait pu même apercevoir pendant une seconde ce nouveau monde ! Je mourrais pour pouvoir marcher à travers les rues peuplées de monde. Rien que d’entendre les bruits d’une rue industrielle décrits dans Zone, je ferme mes yeux et je m’imagine là. Là au milieu des foules. Là avec mes amies. Là dans l’avion, en essayant d’assourdir le bruit du moteur incessant. Des banalités ? Oui, mais je les veux. J’ouvre mes yeux et tout se perd. Je ne reconnais pas ce monde. Il est moche. Il est triste. Il est isolant.

 

Je me languis de ce monde où je ne devais pas me réveiller dix fois par nuit et vérifier les nouvelles horripilantes.

 

Toi, Apollinaire, tu nous parles de l’Afrique, de l’Amérique, de la Chine ainsi que chacun de leurs petits détails. Tu nous tortures avec tes descriptions de ton ancien monde.

 

Tu dis que tu as perdu ton temps mais que faisons-nous tous les jours ? Nous essayons d’oublier que le temps nous file entre les doigts comme du sable dans un sablier. Mais il passe. Rien ne peut l’arrêter. Bientôt ce sera mon deuxième anniversaire dans ce fichu monde nouveau. Je le hais. Je me réveille chaque matin en ayant peur. Peur pour ma famille si lointaine. Je ne veux plus avoir peur. Retrouvez-moi ce monde ancien.

 

Privée de cette souffrance d’amour. Je la veux. Les petits amours par textos ne peuvent pas être comparés au grand amour décrit dans nos livres. C’est une torture de les lire et de les vouloir mais de ne pas être capable de les avoir. Ce n’est pas juste. Pourquoi est-ce notre génération qui est dépourvue de cette souffrance.

 

Tu me déçois ô monde nouveau. Tu me brises le cœur avec tes morts. Tu m’as épuisée. Je ne te veux pas.

 

*Les citations dans ce texte proviennent du poème « Zone » de Guillaume Apollinaire.

 

À propos de l’auteure

Livia Strasser est une étudiante ayant récemment complété sa quatrième année à l’Université de Toronto, avec une majeure en littérature et langue russe ainsi qu’une double mineure en études européennes et en littérature française.